Lune noire

Lune noire, de John Steinbeck, Le livre de poche, dépôt légal 1ière publication: septembre 1996, édition 04 de juillet 2010, 158 pages, Roman, littérature américaine.

lune noireMon résumé: Un village perdu au fin fond de l’Est de l’Europe se trouve envahit par les nazis en raison d’une ressource – le charbon- dont le III° Reich a besoin. La vie des villageois va être modifiée en profondeur alors même que la jeune génération n’a encore jamais été confrontée à la guerre. C’est pourtant une solidarité sourde et silencieuse qui va s’installer tant entre jeunes et aînés, qu’entre hommes, femmes et enfants. D’abord passive, la population va devenir active dans sa résistance face à l’envahisseur tandis que les allemands passeront du statut de conquérant à celui de harcelé. C’est une partie d’une histoire dans l’Histoire qui raconte un chamboulement de vies où la véritable part d’humanité est mise en lumière qu’elle émane des tripes ou non.     

L’envahisseur nazi, dirigé par le Colonel Lanser prend possession de ce village perdu avec l’aide d’un traitre M. Corell, commerçant du village, qui soutient les idées du III° Reich. La troupe allemande est composée du Commandant Hunter, homme déconnecté de la réalité des événements qui rationalise tout, du Capitaine Bentick, au style anglais, du Capitaine Loft, pur militaire façonné comme tel qui est persuadé que son uniforme lui confère un pouvoir divin et des Lieutenants Prackle et Tonder, des étudiants séduits par l’idéologie nazie assez simples d’esprit.

Les villageois sont nombreux et restent dans l’ombre. Cependant, ils sont représentés par le vieux Maire, M. Orden  et son acolyte le Dr Winter. Ils sont soutenus par Madame, la femme de Maire et les employés de l’hôtel de ville, qui devient le QG des nazis. Joseph, le majordome effacé et Annie la cuisinière colérique seront les liens entre Orden et Winter et les villageois. Au début de l’arrivée des allemands, les villageois sont estomaqués et ne mesurent pas encore toutes les conséquences de la présence allemande. Malheureusement, il faudra attendre une bagarre entre un mineur, Alexander Morden, et un allemand, conduisant à la mort de Bentick qui s’était interposé entre les deux hommes, pour que les villageois prennent conscience de ce que signifie être envahit: jugé selon les règles nazies, Alexander Morden est fusillé et laisse une jeune veuve, Molly Morden. Ce fait anodin pour les allemands, va pourtant signé le début d’une rébellion pacifiste, patiente, insidieuse…qui rejette l’autorité allemande.

  •  Mes impressions: Publié en 1942, il est fort d’admirer la prise de recul de Steinbeck quant à la seconde guerre mondiale. Je n’ai nullement ressenti de jugement de sa part quant aux événements, malgré son activité de journaliste de guerre alors que ce livre a participé à la propagande de la résistance.  Je m’explique: il ne désigne ni les méchants ni les gentils. Il présente des faits, des attitudes, des réactions et interactions entre deux types d’humains, à savoir les dominés et les dominants ou le peuple conquis et l’envahisseur. Or, indépendamment de ce rapport de force, il est question de l’être humain dans sa globalité.

Tour à tour, il expose les échanges entre les deux camps et leurs sentiments.

Du côté allemand, la rigueur et l’obéissance à l’Autorité prédomine. Dès lors aucune place n’est laissée ni au libre arbitre, ni à la propre autonomie de pensée de l’individu allemand.  Lorsqu’elle fait surface, il est rappelé à l’homme exerçant la profession de militaire qu’il est un soldat et doit agir comme tel, parce que il est tenu d’exécuter les ordres: c’est son métier. La machine totalitaire broie de plus tout sentiment que le soldat allemand peut avoir: loin de sa famille, en terre hostile non seulement en raison du climat mais de la rébellion insidieuse des villageois qui ont fait vœux de silence, confronté à un lien social inexistant, l’individu allemand perd pied. Steinbeck se rapproche dans ces descriptions de la théorie de la banalité du mal de Hannah Arendt où il est demandé à un homme normal d’agir selon des ordres disproportionnés par rapport à la situation à laquelle il est confronté. 

Du côté des villageois, l’injustice et la privation animent la patience vengeresse du peuple conquis. En effet, ces derniers subissent l’invasion allemande d’une bien curieuse façon: ils ne parlent jamais à l’ennemi, sauf quand ce dernier l’interpelle et baisse les yeux en signe de soumission. Soumission ou défi? Les fusillades, le travail forcé à la mine de charbon et la privation de nourriture ni changeront rien. La force du peuple conquis va progressivement inverser la tendance dans le rapport dominé-dominant. Au-delà des ordres, de la peur et de la force physique, il existe une puissance que l’ennemi ne maîtrise pas parce qu’il n’est plus capable de penser par lui même.

Le combat devient une guerre physique mais aussi une guerre psychologique où seule la liberté sera l’issue finale, car il ne peut en être autrement.

 Avec Lune noire, éditée clandestinement en France pour appuyer la résistance au moment de la guerre, j’ai lu pour la première fois de ma vie un Steinbeck, davantage connu pour A l’est d’Eden ou Les raisins de la colère. Je suis conquise par la précision de l’auteur et la justesse de ses mots. Il me tarde désormais de continuer à le lire!

Bien que l’histoire ne concerne pas de prime abord les Etats-Unis, j’inscris tout de même cette lecture au challenge US de Noctembule, au regard de la nationalité de l’auteur.

challenge_us

11 réflexions sur “Lune noire

  1. Ping : Les lectures d’octobre | 22h05 rue des Dames

    1. Non, il n’y a pas de descriptions glauques; tu suis les pensées des individus, il y a donc beaucoup de psychologie: allemand ou autochtones sont décrits avec toutes les subtilités humaines

  2. Découverte pour moi, son écriture m’a scotchée…je me rappelle qu’un matin en allant au travail en métro j’ai été tellement dans ma lecture que j’ai eu du mal à me connecter aux dossiers clients tant l’empreinte de Steinbeck m’habitait, c’est rare quand ça me fait ça, mais dans ces moments là je me dis que l’auteur est vraiment talentueux! J’ai donc hâte qu’on puisse échanger sur ce livre!

    1. C’est génial que tu aies envie de le lire; c’est un de mes leitmotiv de blogueuse de faire découvrir des bouquins! Le livre est court, donc se lit vite, est prenant, concis, clair, et ouvre de nombreuses réflexions, vas-y!

  3. Ping : Rétrospective de cette année 2013 | Les livres de Camille

  4. Ping : Challenge un jour, challenge toujours! WWII | Les livres de Camille

  5. Ping : L’ensemble de toutes les lectures par auteurs | 22h05 rue des Dames

Laisser un commentaire