Idéologie et terreur, Hannah Arendt

Idéologie et terreur, de Hannah Arendt, Introduction et notes par Pierre Bouretz, traduction de Marc de Lanay, édition Hermann, 123 pages, document-essai, philosophie.

Notes liminaires: Peut-être l’aurez-vous remarqué, je fonctionne par cycle dans mes lectures. De plus en plus, j’ai également envie d’apprendre sur des individus qui ont marqué l’Histoire à un moment donné parce que je les trouve extraordinaires, admirables, doués d’une extrême intelligence qui me captive. Là encore j’applique un fonctionnement cyclique basé sur le coup de coeur de l’oeuvre et de l’être.

Il y a deux ans, j’ai redécouvert Léonard, sous entendu Léonard de Vinci; lui et moi sommes devenus très intime: j’admire l’homme et le génie; je pense avoir l’occasion de vous en parler un jour…Ainsi, Léonard a été ma révélation pendant ces deux dernières années et je me suis énormément documentée sur lui. Cette année, j’ai fait la connaissance d’Hannah Arendt dont je n’avais, jusqu’alors, jamais entendu parlé; c’est ce film qui me l’a révélée et qui m’a donné envie d’en apprendre davantage sur elle, donc sur ses écrits.  Sauf que la dame était philosophe et par voie de conséquence, cela implique de me plonger dans ce puits de méconnaissance totale que représente pour moi la philosophie. La philo et moi n’avons jamais été amies, je n’ai jamais rien compris, trop obscure pour mon « moi-ado ». J’espère que mon « moi-adulte » plus mûr, ayant acquis expérience et prise de recul, va comprendre et digérer ses pensées, qui résultent d’une analyse qui me touche. J’ai donc décidé de m’attaquer à « Idéologie et terreur » dans un premier temps.

Pourquoi?

– « Eichmann à Jérusalem » est constamment emprunté à la bibliothèque (oui, certes mais je peux aussi aller en librairie)

– Parce que c’est un texte très court (80 pages)

– Parce qu’il pose les prémices de sa philosophie => je préfère avoir une base solide qui me permettra de mieux comprendre les choses, de suivre ses raisonnements chronologiquement plutôt que d’y aller dans tous les sens.

  • ideologie et terreur couv48dba875209ffRésumé: Le livre est composé d’une longue introduction écrite par Pierre Bouretz, qui est philosophe et directeur d’études à L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Cette introduction place le lecteur dans le contexte d’écriture d »Idéologie et terreur » d’Hannah Arendt: elle réécrit trois fois ce texte au regard de ses réflexions de plus en plus poussées.  

>>>>>>> Résumé et clés de compréhension issus de l’introduction:

1- Avril 1952: alors qu’elle voyage en Europe, HA réfléchit à sa participation au livre pour Karl Jaspers, psychiatre et philosophe allemand, dont elle a été élève. Le thème retenu est idéologie et terreur. Ce premier texte est rédigé en allemand: c’est la traduction de ce texte qui suivra. Elle puise ses idées chez Montesquieu, Platon, Augustin et Marx, et voilà ce qu’elle va retenir de ses différents travaux:

Montesquieu et son « esprit des lois » avec les notions de lois, politique; Platon: les corps politiques ne naissent pas de chênes ou de rochers; Augustin et sa citation  » l’homme a été crée afin qu’il y ait un commencement »; Marx d’où elle tire des éléments authentiquement philosophiques des éléments anthropologiques; elle retient aussi de Marx le fait que l’homme occidental est tenté de calquer l’action sur le modèle de la fabrication d’objets dès lors qu’il a commencer à se comprendre comme travailleur. Je reviendrais un peu plus tard sur la définition d’HA des concepts de AGIR, ACTION, FABRICATION issus de Marx.

2- Retour aux Etats-Unis où elle rédige une version légèrement différente en anglais (numéro 2) de la version initiale écrite en allemand. Ainsi le texte sera paru deux fois en deux langues en 1953.

3- Ce texte sera aussi le dernier chapitre de l’édition allemande de son livre « Origine du totalitarisme »; initialement publié en  février 1951 à NY, ce livre est le résultat de cinq longues années très éprouvantes qui l’ont épuisée. D’ailleurs le titre qu’elle donne pour la traduction anglaise résume assez bien son état d’esprit: ‘the burden of our time » « le fardeau de notre époque ».

=> les trois versions du texte sont adaptées non seulement à l’usage auquel elle les destine, mais aussi à sa réflexion qu’elle ne cesse de poursuivre. Sa réflexion s’ancre dans une démarche profondément dynamique.

Base de son raisonnement & définition des concepts sur lesquels HA a travaillé:

idéologie = logique d’une idée

« l’homme a été créé afin qu’il y ait un commencement »(Augustin): l’homme a été créé afin que quelque chose en général commençât => le commencement a fait son apparition dans le monde avec l’homme => cela révèle la spontanéité humaine, caractère sacré. l’extermination totalitaire de l’homme en tant qu’homme est l’extermination de la spontanéité => annulation de la création: destruction de l’homme et de la nature.

esprit des lois = les lois règlent le politique c’est-à-dire le domaine de l’entre-deux.              – entre-deux = les lois sont les rapports qui se trouvent entre une raison primitive et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux [donc] les lois règlent le domaine de l‘entre-deux constitutif du monde des hommes. Il existe deux types de lois, les lois de la nature et les lois de l’histoire, qui appartiennent à des lois de mouvement. En effet, le chef (au sens de despote) imite lesdites lois parce qu’il est un être de vouloir.  » A ce titre il prétend accomplir la « volonté de la nature et de l’histoire! » « 

Cela induit l’explication (page 17) du gouvernement totalitaire. Les gouvernements totalitaires prétendent respectivement accomplir les lois de la nature et de l’histoire; loin d’instaurer une stabilité des affaires humaines à l’instar de celles promues par le droit, ces lois créent un perpétuel mouvement.

Pour en revenir à l’essence qu’elle retire de Marx, HA a défini les termes suivants de manière opposée: « agir = ne se peut qu’en rapport à d’autres et avec eux »; « l’action est quelque chose d’essentiellement différent de la fabrication« ; « action = n’a lieu qu’entre les hommes »;  » toute identification de l’action et de la fabrication entraîne la destruction de la liberté ».

terreur = « docile exécutrice de processus naturel ou historique, fabrique cet être-un des hommes en anéantissant radicalement l’espace vital entre eux, qui est l’espace de leur liberté. »

Le produit final de ces définitions liées bien évidemment à son raisonnement fait de ce texte un complément de la phénoménologie (définition du Larousse: Étude descriptive de la succession des phénomènes et/ou d’un ensemble de phénomènes. Le terme de phénoménologie entendu comme « science » du « phénomène » appartient au vocabulaire technique de la philosophie. Il s’agit d’un néologisme d’apparition tardive) du monde totalitaire centrée sur l’expérience des camps (page 23).

>>>>>>> Résumé et clés de compréhension issus de son texte:

La problématique posée par Harendt s’articule en deux points. Premièrement, il s’agit d’appréhender la nature de la crise qu’ont généré les appareils totalitaires de pouvoir. Ensuite, il s’agit de se pencher sur la nature de ces formes totalitaires de dominations. Ici, HA fait référence au nazisme du III° Reich d’Hitler et au communisme de l’Union Soviétique de Staline. Elle insiste sur le caractère nouveau de la domination qui amène a un pouvoir de domination totale. Elle explique que le pouvoir totalitaire est « sans loi » puisque il balaie tous les droits établis jusqu’alors, notamment le droit positif, qui désignait les lois de toute communauté normale comme des  » facteurs stabilisant des circonstances éternellement  fluctuantes, encadrant l’inévitable instabilité des affaires humaines où l’action des hommes est affectée  d’une constante mobilité, appelant sans cesse un mouvement nouveau » (page 62). Dès lors, les lois totalitaires ne remplissent absolument pas cette fonction de stabilisation mais se définissent comme des lois du mouvement qui ne font plus appelle ni à l’intelligence ni à la conscience. Le changement de régime implique de nouveaux codes, de nouvelles définitions propre au langage totalitaire. Par ailleurs, l’essence du totalitarisme est la terreur « qui n’est pas exercée arbitrairement mais en conformité avec les processus extérieurs et leurs lois naturelles ou historiques » (page 69). La terreur encercle les individus de son lien d’acier. De plus, le système classe les individus en deux catégories: le bourreau et la victime. Mais, les individus sont conditionnés pour basculer de l’une à l’autre catégorie au gré des règles édictées. Tous les liens sociaux sont annihilés. L’homme isolé, abandonné, est soumis à la désolation (et non la solitude); puis elle démontre que le régime totalitaire porte en lui le germe de sa destruction.

Mes impressions: Je n’aurais pas la prétention de dire que j’ai trouvé ce texte facile d’accès; j’ai bien souvent relu les paragraphes afin de bien tout comprendre et chercher des mots dans le dictionnaire, mais pour quiconque s’accroche, réfléchit un minimum et s’intéresse véritablement au coeur du sujet il est impressionnant. Nous ne sommes que 5 ans après la fin de la seconde guerre mondiale et je trouve que son analyse est extrêmement pointue et bénéficie d’une belle prise de hauteur même si on sent qu’elle peut aller plus loin par la suite (et c’est d’ailleurs ce qu’elle fera). La preuve en est qu’elle a maintes et maintes fois retravaillé son texte. Le schéma suivi par Harendt est clairement expliqué et j’adhère à la démonstration qu’elle fait entre l’idéologie et la terreur, ainsi que le comparatif des régimes politiques: monarchie, république et dictature et ce qui les qualifient. Ses recherches se basent sur des analyses précédentes dont elle retire la substantifique moelle afin de poser les bases de sa réflexion. J’apprécie énormément son travail qui me permet d’appréhender un concept difficilement explicable: comprendre les motivations des régimes totalitaires, une de leur manière de raisonner d’un point de vue intellectuel et philosophique est intéressant mais aussi violent; on dépasse l’opposition du bien et du mal en répondant à des questions aussi simples que complexes (Comment? Pourquoi? De quelle manière? Et l’objectif? Mais que s’est-il passé dans leur tête? …)   

Cette première approche des textes d’Hannah Arendt est une découverte. J’adhère à sa façon de penser, il ne reste plus qu’à creuser…

 

5 réflexions sur “Idéologie et terreur, Hannah Arendt

  1. Comme toi, le film m’a donné envie d’aller plus loin et de dépasser mon désamour pour la philo. Puisque ce livre ne t’a pas semblé d’un accès impossible, je le note.

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