Le Parfum

Le Parfum de Patrick Suskind, 280 pages, LDP édition de janvier 2008, traduction  intégrale, littérature allemande.

 

le parfumEn trois mots : création – parfum- tragédie

Mon résumé : Pour survivre au milieu du XVIIIème siècle au cœur de Paris, un enfant hors norme du nom de Jean Baptiste Grenouille a poussé le don que la nature lui a fait à l’extrême, quitte à semer la mort partout où  il passe…

Enfant misérable, exploité par des adultes sans scrupules, il a développé un instinct de survie incommensurable dès sa naissance. Physiquement petit, rabougri, hideux et effrayant, il porte les stigmates des maladies mortelles dont il a été victime sans jamais y succomber. Il se caractérise également par une absence totale d’empathie envers l’être humain, mais surtout par son « nez ». Voyez-vous, Grenouille est l’unique individu doté d’un odorat surdimensionné. Les senteurs sont son langage. Que les odeurs soient celles des égouts de Paris ou la rosée du matin, Grenouille les a emmagasinées. Lorsque un jour, l’odeur parfaite lui chatouille le museau, subtile et douce, dégageant le parfum le plus agréable qui puisse exister et qu’il n’ait encore jamais senti, il décide de le capturer, mais ne peut le conserver. Ce parfum si suave et authentique, c’est celui d’une jeune fille dans le marais. Enivrer par cette odeur quasi-parfaite, avec le besoin de se l’approprier, il commet l’impensable et étrangle la jeune fille. Dès lors, il va poursuivre son unique objectif qui va être de créer Le Parfum, son parfum, en se donnant les moyens d’apprendre la fabrication du parfum dans ses procédés les plus nobles, auprès de maîtres parfumeurs aux quatre coins de l’hexagone.

De mon point de vue : Mais comment ai-je pu passer à côté de ce livre ? Si il n’est pas un coup de cœur absolu en raison d’une fin que je qualifierais d’orgie barbare, l’écriture est parfaite et maîtrisée, et dès la première page la magie des mots opère. Si les mots devaient avoir une odeur, elle collerait chaque lettre émanant de ce livre. C’est époustouflant ! En revanche, la beauté du champ lexical des senteurs met en exergue la cruauté de Grenouille dans sa quête du Graal. Grenouille est un sociopathe en liberté qui porte la mort volontairement ou non, car là où Grenouille passe, l’être humain trépasse. Il ne ressent rien en termes d’émotions, de sentiments, tant sa connaissance olfactive annihile toute part d’humanité pouvant éventuellement sommeiller en lui. On pourrait supposer que son enfance difficile où il a côtoyé la mort lui aurait appris l’importance de la vie mais il n’en est rien. Seul son objectif de création du Parfum doit être réalisé au détriment du reste. Il aurait pu devenir un maître dans son domaine tant il est talentueux mais son égocentrisme démesuré et son désintérêt du tout l’ont transformé en un criminel au génie singulier.

Ce livre est une tuerie : tuerie des mots et tuerie tout court !

Publicité

La philosophie dans le boudoir

La philosophie dans le boudoir, de D.A.F de Sade, Folio 2€, 128 pages, littérature française. Première édition 1795.

 

01052178624En trois mots: éducation- provocation- sexe

Mon résumé: En ce XVIII° siècle, trois libertins -Mme de Saint Ange, le Chevalier (frère de Mme de Saint Ange), et Dolmancé se livrent à l’éducation intellectuelle et sexuelle de la jeune Eugénie, 15 ans. Ateliers théoriques et pratiques se succèdent les uns aux autres. Les premiers, sont une mise en pratique de l’acte sexuel, tandis que les seconds portent sur une philosophie en adéquation avec les pratiques proposées.

Mon avis: Installons-nous pendant les quatre premiers dialogues retranscrits ici dans ce boudoir pour en apprécier la teneur. Le texte, au ton soutenu, est tapageur, cru, provocateur et invite à la liberté de penser, faire et agir selon les lois de la nature.

Il y a un rejet de Dieu car il paraît plus judicieux aux personnages de jouir sur terre des plaisirs immédiats que ceux d’un éventuel au-delà dont, en définitive, on ne sait rien.

Puis vient l’affranchissement de l’éducation transmise par les parents qui amène à la liberté de penser. Et l’on poursuit sur la conduite de la femme dans le mariage où l’adultère devient autorisé et nécessaire à la survie du couple et on explique comment éviter à la femme de tomber enceinte.

Ainsi, toute déviance étant récriminée par les mœurs et la religion, la philosophie part du postulat qu’au contraire seul le libre arbitre de la nature doit conditionner les hommes; la nature, par définition, est la seule loi possible donc toutes formes de désirs charnels doivent être accessibles, il est prôné par exemple la sodomie -Dolmancé et le Chevalier-, l’inceste – le frère et la soeur- , la pédophilie Dolmancé -aime les petits garçons-, le meurtre – dès lors qu’il est jouissif.

J’ai bien apprécié la lecture de ces premiers dialogues dont la construction est répétitive mais structurée. Si je rejoins un pan de la philosophie proposée ici, j’ai été choquée néanmoins par les extrêmes -qui j’ose espérer a été proposée par le marquis de Sade uniquement pour provoquer  la société…

A lire aussi l’article de la Lubriothèque qui a lu l’intégralité de « La Philosophie dans le boudoir »!

challenge-été 2014 pal métaphore

                                                                 (7/20)

Actualité: parution inédite d’un Dickens!

Mais comment ne pas avoir vu plutôt cela?

Le 21 mai dernier, les éditions de l’Herne ont publié pour la première fois en France un texte jusqu’alors accessible uniquement en anglais, soit 336 pages de délectation dickensienne à venir!

34649abc993982b197aa9a6210af69ed_S

 

En vous rendant ici vous pourrez lire la quatrième de couverture. Malgré une PAL conséquente, je ne vais pouvoir résister à la tentation bien longtemps…Ce livre s’inscrira donc dans les challenges suivants:

victorien-2013Challenge Dickens 2013 2015

Pauline

Pauline, de George Sand, Folio 2€, octobre 2012, 131 pages, littérature française.

 

53986886_pEn trois mots: envie- dualité- féminité

Mon résumé: Pauline D… est une jeune femme dévote qui s’occupe de sa mère aveugle, dans la maison familiale, d’une insignifiante ville de province nommée Saint Front. Les retrouvailles fortuites avec une amie d’enfance, Laurence S…, devenue actrice parisienne, vont lui permettre d’accéder à une autre sphère sociale au décès de sa mère.

Mon avis: Pauline est une formidable description psychologique de plusieurs femmes portées par leurs vies, leurs aspirations et leurs expériences. Pauline s’inscrit par ailleurs dans une antinomie des personnages très intéressante.

Alors qu’au début Pauline est représentée comme une frêle créature, dévouée à sa mère qui n’aspire qu’à connaître le beau monde, elle se transformera par jalousie en un être odieux dont la destinée sera à son image. Laurence, son amie d’enfance, devenue actrice et s’épanouissant professionnellement à Paris, impressionnée par la force tranquille voire la sagesse de Pauline l’érige au rang de sainte et lui ouvre les portes de son monde au décès de sa mère. L’actrice, qui au départ paraît moins sensible que Pauline, parce que plus gaie en raison d’une vie agréable, est en réalité une personne solide, saine d’esprit, qui veille sur son amie. Sa bienveillance sera perçue comme une attaque par Pauline, qui sera bernée par Montgenays, un homme manipulateur. Ce dernier voulant accéder au cœur (au lit?) de Laurence, flirtera avec Pauline afin de rendre jalouse sa proie initiale. La mère de Laurence voyant claire dans son jeu, avertie progressivement sa fille qui tente d’ouvrir les yeux de sa protégée. Sauf que manigances et mauvaises interprétations vont bon train…

En bref, la belle écriture de George Sand donne une profondeur au texte et laisse réfléchir quant à l’amitié parfois destructrice, la naïveté d’une femme face à un homme, et les personnes nocives de manière générale. J’ai passé un très bon moment et vous recommande ce petit livre.

challenge-été 2014 pal métaphore

                                                                 (5/20)

challenge-xixe-s

Les Deux Maîtresses

les 2 maitressesLes Deux Maîtresses, d’Alfred de Musset, GF Flammarion, édition avec dossier, avril 2010, 161 pages, littérature française.

Résumé raccourci: Les Deux Maîtresses traite, sous forme d’une délicieuse nouvelle, de l’amour et des complexités engendré par le sentiment amoureux.

Quatrième de couverture: « Croyez-vous Madame, qu’il soit possible d’être amoureux de deux personnes à la fois?  » A cette interrogation qui ouvre Les Deux Maîtresses, Valentin répond par l’affirmative. Jeune dandy tendre et inconstant, il aime éperdument deux femmes qui se ressemblent, mais qu’un infranchissable fossé sépare; l’une est riche, l’autre pauvre; l’une est la marquise de Parnes, aristocrate en vue dans le grand monde; l’autre une modeste veuve, Madame Delaunay…Parue en 1837, Les Deux Maîtresses, sans doute la plus charmante nouvelle de Musset, allie avec bonheur un badinage brillant et une veine plus sombre et plus désabusée. Car cette balade romantique dans le Paris élégant des années 1830 est aussi l’occasion, pour Musset, de poser la question essentielle du choix et de l’engagement, et d’examiner, avec la lucidité d’un moraliste, la mécanique complexe du cœur et des sentiments.

  •  Mes impressions: Qu’il est bon de lire un livre de qualité aussi court soit-il! 

L’histoire de Valentin est confiée par le narrateur à une oreille attentive qu’est celle d’une amie, et qu’il interpelle au cours de sa narration afin d’accentuer l’intimité de l’échange.  On lit la scène autant qu’on la visualise. 

Valentin, protagoniste de notre histoire, est un beau jeune homme épicurien du XIX° siècle qui vit à Paris, sous la Restauration. Il se plaît à fréquenter les endroits à la mode où il est toujours bien vu de se montrer comme par exemple à la Chaussé d’Antin. Panier percé mais issu d’un milieu modeste, il a suivi des études de droit, et compte sur son physique et son parler pour séduire la bourgeoisie incarnée par madame de Parnes alors qu’il est dans la nécessité de travailler pour vivre comme madame Delaunay. Il va donc être tiraillé entre ces deux femmes; choisir l’une ou l’autre implique pour lui de choisir la vie qu’il souhaite, à choisir la bourgeoisie ou le prolétariat. En matière littéraire cette « schizophrénie sentimentale » n’est guère originale. En revanche, Musset signe là une analyse plus profonde sur le sentiment amoureux, pétri de l’influence des romans libertins symbolisé par le pavillon de Parnes ou le jeu des « gestes et paroles qui érotisent les rapports entre les sexes » (page 20-21, préface). Ainsi, le texte s’imbrique dans une multitude de degrés. D’une part on distingue l’aspect matériel illustré par les soucis d’argent, propre au quotidien, où s’oppose besoin primaire et secondaire; je pense ici au coussin façonné par Mme Delaunay puis acheté par Mme de Parnes qu’elle offre à Valentin.  D’autre part, on a l’aspect sentimental avec les tourments de l’amour, le jeu de la séduction, le désir…

« Devenir amoureux n’est pas le difficile, c’est de savoir dire qu’on l’est » (page 57)

Ces deux éléments s’entremêlent inextricablement sur le ton de l’incertitude qu’elle soit amoureuse ou matérielle. D’un côté on a l’histoire en tant que conte et de l’autre on a une réflexion intellectuelle. Rappelez-vous, le  narrateur se confie à une amie, qui est indirectement le lecteur, « il était une fois un beau jeune homme… » mais il en profite pour retranscrire les mœurs de son temps sur un air parfois satirique. En outre, l’antinomie ancien monde aristocratique et monde nouveau demeure en fond des pérégrinations amoureuses du beau Valentin.

Mais qui donc Valentin choisira-t-il, si choix il y a?

Les Deux Maîtresses est un court roman à la réflexion poussée qui donne à explorer ce beau sentiment qu’est l’amour du point de vue de l’auteur. On retrouve d’ailleurs la connotation mussétienne dans Camille-On ne badine pas avec l’amour- « Je veux aimer mais je ne veux pas souffrir »

Nouvelle participation au challenge XIX° siècle chez Fanny

challenge-xixe-s

Autant en emporte le vent Tome I

Autant en emporte le vent, tome 1, de Margaret Mitchell, Folio, novembre 1996, 477 pages, littérature américaine.

autantenemporteMon résumé: Ce premier opus de Autant en emporte le vent nous immerge au cœur des Etats-Unis d’Amérique, en ces années 1860, alors que la guerre de Sécession éclate, et se place du point de vue des hommes blancs des Etats du Sud, les états confédérés. C’est sous cette tragédie historique de scission entre un Nord industriel et un Sud rural, que vont naître désir, passion, soif de vivre, dans un climat de jalousie, de privation, et de guerre, le tout encadré par les règles de la bienséance.

 Mes impressions: Difficile d’écrire un billet sur cette oeuvre majeure de la littérature américaine. Autant en emporte le vent -tome 1- est un tourbillon de vie dans lequel le lecteur se glisse et fait la connaissance du domaine de Tara où  prédomine l’impétueuse Scarlett O’ Hara, fille aînée du maître des lieux, Gérald O’ Hara

Scarlett, du haut de ses seize ans,  a la beauté de sa mère, Ellen, et malgré l’éducation privilégiée des jeunes filles de bonne famille qui lui a été prodiguée, le caractère de son père resurgit quotidiennement: elle est à la fois farouche, mielleuse, sincère, désagréable, mauvaise et égoïste, et ne s’intéresse à rien d’autre si ce n’est aux pique-niques locaux et a son attrait sur les hommes. Elle n’est pas intelligente, mais elle est si drôle et manipulatrice qu’on apprécie son côté terre à terre et son insensibilité à la culture générale. Scarlett n’est pas aimée des autres femmes de son entourage à l’exception de sa mère, leur domestique, et de la tendre Mélanie Wikles. En effet, cette séductrice dans l’âme aime la compagnie des fils des notables de la région, danser et chanter et être le centre de l’attention; par conséquent,  qualifiée de « dévergondée » elle ne peut que susciter la jalousie chez les jeunes et choquer les plus âgées. Aussi lorsque le bel Ashley Wilkes, homme qu’elle aime secrètement, lui échappe en décidant d’épouser la frêle Mélanie, Scarlett monte un stratagème pour qu’Ashley renonce à son mariage. Face à l’échec de son annonce, elle se voit épouser le frère de Mélanie, un homme qu’elle trouve repoussant, Charles Hamilton. Bien que délivrée de ce mariage rapidement grâce à la guerre -Charles meurt au front- elle mettra au monde le petit Wade dont elle n’a cure. Son statut de veuve l’entraînera à Atlanta, auprès de Mélanie et de la Tante Pitty, famille de son défunt mari. Pour Scarlett, qui déteste Mélanie et nourrit de mauvaises aspirations à son égard, vivre à Atlanta lui permet de profiter des bals de la ville et d’être présente dans la vie d’Ashley qui se bat contre les Yankees. En échange, elle supporte la gentillesse et la bonté débordante de Mélanie et son rôle d’infirmière à l’hôpital. Sa vie est également rendue plus agréable grâce aux cadeaux que lui fait le ténébreux Rhett Butler…

Ah, ce Rhett Butler! Si envoûtant, si énigmatique, si électrique…je fondrais devant lui! Sa force tranquille et virile inspire la confiance, tandis que ses côtés malicieux, débrouillard et provocateur le servent à merveille. Rhett n’est pas un héro de guerre et en cela il dérange les Sudistes, il est un homme qui refuse de mourir pour la gloire, et surfe sur l’Histoire pour s’en sortir. Les passages où Rhett apparaît sont ceux que j’ai préféré; ils sont drôles, parfois romantiques mais si provocateurs que je m’en suis délectée et ne m’en lasse guère.

Qui dit Autant en emporte le vent dit Scarlett O’Hara et Rhett Butler. Mais il serait réducteur voire insultant de ne résumer ce livre qu’à cette histoire d’amour qui me subjugue tant! Gone with the wind est une fiction au cœur d’un événement capital dans la construction des Etats-Unis d’Amérique qui occupe une place toute aussi centrale que cette histoire d’amour; de la lutte des idées à celle du terrain, il n’y a qu’un pas et Margaret Mitchell à réussi avec brio ce roman historique dans ce premier tome en retraçant la guerre de Sécession et ses batailles. Elle pose par ailleurs, de nombreux sujets de réflexion que sont la place des noirs mais du point de vue des blancs -dommage-, les conséquences de la guerre – une ville assiégée (Atlanta), les femmes à l’arrière, les hommes au front, la stratégie militaire-  le choix des hommes façonné par leur position sociale et éducative -se battre pour une cause, se battre parce que c’est comme ça, déserter- et l’évolution sociale induite.

A lire absolument! 

Tomes II et III à suivre…

Nouvelle participation au challenge US de Noctenbule, au challenge Romancières Américaines de Miss G, Gilmore Girls de Touloulou, et Littérature du XIXè de Fanny avec qui j’ai fait une LC tardive!

challenge_us

romancieres amgilmore-girls-challenge_logo

Challenge XIXe s

Middlemarch

Middlemarch, de George Eliot, Folio Classique, juin 2011, 1152 pages, Roman, littérature anglaise. 

george-eliot-middlemarch

  • Mon résumé version courte: Middlemarch, ville imaginaire créée par George Eliot, situé au cœur du XIX° siècle de l’Angleterre, est le miroir de ce qui se passe dans la société  britannique de ce siècle. Satire sociale, ce texte raconte la vie quotidienne des habitants de Middlemarch et de ses environs où manipulations et corruptions vont de paires avec réforme politique, choc de générations, poids religieux, hiérarchie sociale, mais aussi amitiés, loyautés…
  • Mon résumé version longue: Middlemarch se décompose en huit livres plus un « Final » et est animé par une foule de personnage dont le lecteur va suivre les pérégrinations pendant un peu plus de trois ans. Le fil directeur est assuré par Dorothea Brooke, épouse Casaubon; Dorothea est une femme atypique du XIX° siècle. Vertueuse et réfléchie, elle s’est fixée une ligne de conduite, issue de nombreux principes qui l’animent, à laquelle elle ne déroge pas. Bien qu’elle courbe l’échine, ses principes, au final, lui permettent d’être libre et heureuse. En effet, bien que respectant les conventions de son temps tel le fait d’accepter d’être considérée par son vieux mari jaloux et possessif, M. Casaubon, comme appartenant au sexe inférieur, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle en souffrira mais transformera par la suite cette faiblesse en force. Elle est d’ailleurs très appréciée de ses concitoyens qui louent sa pureté d’âme. Sa sœur, Célia Brooke, épouse Chettam, est nettement moins féministe dans l’âme et se complait à se ranger du point de vue de son mari, Sir James Chettam, sur toutes les questions ne pouvant être traitées par une femme. Complices, les sœurs Brooke ne mènent pas leur vie, et plus particulièrement leur vie conjugale de la même façon, mais leur lien de sœur est inébranlable, et leur oncle, M. Brooke, est un socle solide de la famille Brooke. Ayant pris les sœurs Brooke sous son aile dès la mort de leurs parents, il leur laisse la possibilité de faire leur propre choix, notamment en matière de mariage. Le fait qu’il leur laisse une telle liberté, n’empêchera pas Dorothea de se tromper mais il ne peut être opposé à M. Brooke d’avoir été de mauvais conseils, bien au contraire! M. Brooke semble être un homme d’affaires qui touche à tout, « comprenez-vous » comme il aime à le dire: politique,  journalisme, gestion de domaines, chasseur de nouveaux talents par exemple avec le cousin de M. Casaubon, Will Ladislaw. Ce dernier est un artiste dans l’âme, mais également un jeune homme qui se cherche et qui se réalisera pleinement grâce à l’intervention de M. Brooke, lorsqu’il achètera le journal Le Pionner. Ladislaw est mon personnage préféré. Son évolution personnelle et professionnelle lui donnera progressivement confiance en lui, et il m’a plu de le suivre et de voir que son honnêteté intellectuelle, mise à rude épreuve, est restée intacte. En effet, une révélation de taille faite par le banquier le plus célèbre de Middlemarch sur ses origines, M. Bulstrode, aurait pu le rendre riche et lui conférer l’assise sociale de son rang. Mais l’amour qu’il porte à Dorothea, l’épouse de son cousin Casaubon, l’empêche d’accepter la proposition de Bulstrode, source d’un déshonneur assuré. Rosamond Vincy, épouse de Tertius Lydgate, apprécie par ailleurs la fraîcheur et la joie de Will car tous deux aiment chanter et jouer du piano. Pourtant Rosamond, n’aime rien ni personne à part elle-même; soucieuse des apparences et du qu’en dira-t-on, elle est championne dans l’art de la manipulation des hommes. Elle ne saura pas apprécier les qualités de son mari, le Dr Lydgate, qui lui attache énormément d’importance à son bonheur et son confort. Jeune médecin, Lydgate a pour ambition de révolutionner à son échelle la médecine et dispose d’un esprit fortement novateur pour son temps; malheureusement, son attitude sera mal perçue par ses pairs qui lui mettront de nombreux bâtons dans les roues; par ailleurs, les dettes accumulées en raison de son installation avec sa femme le rattraperont et le désintérêt de celle-ci conjugué à ses reproches non justifiés le tireront vers le bas. Rosamond est la fille de M. Vincy, le maire de Middlemarch, ce qui peut expliquer, dans une certaine mesure, cette sensibilité au paraître. Son frère, Fred Vincy, a lui aussi un rapport particulier avec l’argent (problème de jeu). Il ruinera d’ailleurs la famille Garth, dont le patriarche, Caleb Garth, s’était engagé en qualité de caution; en revanche, Fred aura la capacité de changer, mais le chemin sera long et difficile. Là encore, son moteur vient de l’amour qu’il porte à Marie Garth; bien qu’il se sente coupable d’avoir entraîné les Garth dans sa chute, Marie se sentira également coupable vis-à-vis de lui suite à une inaction de sa part quant à un testament écrit par son employeur,l’homme d’église M. Featherstone, quelques heures avant sa mort. Marie Garth, bien que n’ayant pas la beauté de Rosamond, a la beauté du cœur; c’est pourquoi elle sera également courtisée par un homme d’église, M. Farebrother.

Je vais m’arrêter là, vous ayant globalement présenté les personnages principaux, car je me rends compte qu’ à part vous décrire les personnages et plus ou moins les liens entre eux, il est difficile de résumé une telle oeuvre! Tout ces middlemachiens, et tant d’autres, sont liés d’une quelconque manière entre eux, par les histoires passées qui refont surface, par leur appartenance à leurs classes sociales, réceptions et mariages, sans oublier le milieu des affaires.

  •  Mes impressions: Bien qu’ayant eu des difficultés à entrer dans cet univers peint par George Eliot, je peux vous dire que j’ai adoré cet ouvrage! Il s’agit d’un classique incontournable de la littérature anglaise que je suis ravie d’avoir découvert. En revanche, il s’agit d’une lecture extrêmement exigeante qui ne laisse place à aucune « rêverie »; chaque mot -sur les 1100 pages- a été choisi avec soin et donne le sens que l’auteur a voulu donné au texte sans interprétation possible. J’ai donc peiné sur les 700 premières pages, notamment parce que le narrateur (l’auteur?) est omniprésent et omniscient; la moindre conversation, pensée, action est commentée et analysée de façon objective et remarquable; cela m’a perturbée pendant un long moment. De plus, les liens entre les personnages ne sont pas clairement établis dès qu’on les rencontre et on se perd facilement dans cette foule d’individus sans cesse en mouvement. Par la suite, je m’y suis habituée et ai regretté d’être arrivée au point final…c’est pour dire! Middlemarch donc est une oeuvre complète, complexe et satirique de la société anglaise du XIXème siècle. Les mutations qui s’opèrent sont palpables mais la réticence de la noblesse anglaise accrochée à ses pouvoirs fait force. Cela est perceptible au livre II. Vieux et jeunes, notamment avec le Dr Lydgate qui a l’ambition de découvrir de nouveaux remèdes, ou plus largement avec la réforme politique qui échouera -mais là j’ai trop de carence en la matière pour en discuter- Il est question de la femme et de sa place au sein de la société; dans les milieux aisés, seuls les mariages arrangés ont la côte. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à choisir leurs époux. Dorothea avec M. Casaubon et Rosamond avec Lydgate. Mais leur féminité n’est pas utilisée de la même manière: Dorothea,  malgré sa beauté, est une femme cérébrale qui attache une importance capitale, voire vitale, à faire le bien autour d’elle; elle veut s’inscrire dans un schéma sur le long terme qui va au-delà d’elle et de Middlemarch, d’où sa volonté de se marier avec Casaubon, qui peut l’élever intellectuellement parlant. Rosamond, elle, est égoïste et même vulgaire et se sert de ses atours pour arriver à ses fins, ce qui la rend détestable. Dorothea, au final sera heureuse, tandis que Rosamond malgré une prise de conscience tardive ne me semble pas approcher le bonheur…car le vrai bonheur ne réside aucunement dans les apparats d’un milieu social. La religion est aussi un sujet largement évoqué; à la fois vénale pour certains, elle est soutien psychologique pour d’autres. Les activités masculines très en vogue  à ce moment là sont évoquées, comme les cercles de jeux et l’addiction à la boisson, mais demeurent davantage connotées comme un mal de ce siècle pour les gens aisés. Et Middlemarch traite aussi du poids du passé, des secrets qui refont surface (Bulstrode et Rigg), de loyauté, de honte, bref de tout ce qui anime l’être humain: peu importe ce qui est fait, l’essentiel est ce qui en découlera!      
George Eliot (1819-1880): de son vrai nom Mary Ann Evans, elle naît et grandit dans le Warwickshire, dans un milieu de classe moyenne traditionnelle et conservatrice, duquel son intelligence et ses aspirations intellectuelles la pousseront très tôt à s’émanciper. Elle acquiert par elle-même un savoir substantiel et varié dans les domaines de la philosophie et de la théologie qui lui donne accès aux cercles intellectuels les plus en vue. Elle traduit la vie de Jésus de Strauss en 1846 et l’essence du Christianisme de Feuerbach en 1854, écrit à partir de 1851 pour la Westminster Review où elle rencontre le journaliste et essayiste H.G. Lewes dont elle va alors partager la vie pendant plus de vingt-ans; ce choix d’union libre avec un  homme marié à l’ère victorienne, témoigne à lui seul du tempérament d’une femme forte de ses propres valeurs morales et intellectuelles. Lewes l’encourage à écrire des romans qui vont lui ouvrir les portes du succès. A la mort de Lewes en 1878, elle est une figure prééminente du monde de la littérature et de la pensée; elle épouse en 1880 un homme plus jeune qu’elle, et meurt la même année.
Œuvres essentielles: Le Moulin sur la Floss, Adam Bede, Silas Marner, Romola, Felix Holt le radical, Middlemarch étude de la vie de province, Daniel Deronda.
Source: Guide de la littérature britannique des origines à nos jours, sous la direction de Jean Pouvelle et Jean-Pierre Demarche, Ellipses, (page 195)

Je suis ravie d’être allée au bout de cette lecture exigeante car je serais indéniablement passée à côté de beaucoup de choses si je n’avais pas tenu bon; je ne peux que vous inviter à vous immerger dans Middlemarch en vous conseillant cependant d’avoir du temps devant vous (3 mois pour moi) et une réelle motivation; il faut l’apprécier et le digérer, mais quel délice!

Un grand merci à Adalana qui m’a entraînée dans cette LC (LCD, Lecture Commune Décalée pour moi); je l’inscris dans le challenge victorien 2013 d’Arieste, et celui de Jacques à dit « nom de ville » de Métaphore.

 victorien-2013logo-jacques1

L’embranchement de Mugby

L’embranchement de Mugby, de Charles Dickens, Conte de Noel, Le temps qu’il fait, dépôt légal octobre 1994, 100 pages, littérature anglaise.

dickens mugby

  • Quatrième de couverture: Dickens publia longtemps, chaque année, dans le magazine qu’il dirigeait, un conte de Noel, pour resserrer plus étroitement, comme en famille, le lien qu’il avait su nouer avec ses innombrables fidèles. L’embranchement de Mugby est l’un des tous derniers, et le dernier qu’il ait écrit seul, trois ans avant sa mort. Sa vie intime, alors, n’était pas transparente ni sa conscience tout à fait en repos. Peut-être est-ce pour cela que des accents si graves préludent ici aux fêtes du coeur et de l’humour attendri, puis les accompagnent en sourdine jusqu’au dénouement heureux d’une moralité tissé de sourires et de larmes. Elle montre à sa manière que l’on guérit de soi en découvrant les autres, et aussi que l’on  est comblé par le pardon que l’on accorde. Simples évidences, mais portées à l’incandescence par le génie.
  • Mon résumé: Dans la première partie, intitulée « Barbox frères », le lecteur fait la connaissance de Barbox frère, un ancien employé de la firme du même nom. C’est par une nuit froide de décembre que Barbox frère ou Mr Jackson descend à la gare de Mugby, comme poussé par une force extérieure, bien que son billet le destinait au terminus. Seul, sur le quai de la gare qui subit les intempéries, il rencontre Lampes, un employé du chemin de fer de Mugby. Lampes lui permet de s’abriter dans sa cabine avant qu’il ne trouve un hôtel. Par la suite, Barbox frère fera la connaissance de Phœbé, une jeune fille infirme, qui lui apportera un grand soutien moral; en effet, Barbox frère fuit un événement qui lui est pénible. Or, dans sa fuite, ce dernier ne semble pas avoir envisagé un quelconque point de chute. C’est pourquoi il va rester un an à l’embranchement de Mugby, en errance, avant de prendre la décision de se diriger vers une destination. Ainsi, dans la seconde partie « Barbox frères et  Cie » le lecteur accompagne Barbox frère dans une ville nouvelle -voire une nouvelle vie- qui bien évidemment est reliée à l’embranchement de Mugby. Alors qu’il se promène dans la rue comme à son habitude, une fillette du nom de Polly, l’aborde en feignant d’être perdue. Maladroit et gauche avec l’enfant, il se prend d’affection pour elle et la prend sous sa protection  tout en réfléchissant à comment retrouver ses parents et quelles occupations lui trouver. C’est la mère de Polly qui le contactera avant qu’il entame des recherches. Cette femme ne lui est pas inconnue puisqu’il l’a aimé avant qu’elle ne le quitte pour un autre…
  • Mes impressions: Il s’agit d’un conte très court qui se lit vite mais qui ne pas transporté aussi loin que certains romans de Dickens. En revanche je n’ai cessé au cours de ma lecture d’interpréter les faits, à tort ou à raison! La fuite en avant du protagoniste, Barbox frère, attire l’attention. Il tourne le dos à un événement récurrent -que je ne peux révéler ici- qu’il ne supporte pas/plus et s’arrête à un drôle d’endroit qu’est Mugby. Mugby est une ville dont l’activité tourne autour de la gare et de ses sept embranchements. Pour moi, cet homme perdu atterri par un bien heureux hasard à Mugby où il peut se poser et réfléchir tout en se ressourçant pleinement avant de décider de sa prochaine destination; c’est un cadeau de la vie! Plusieurs choix s’offrent à lui pour repartir puisque il existe sept embranchements au départ de la gare; seule sa rencontre avec Polly, mais dans une moindre mesure celle d’avec Lampes, va lui donner la force d’aller ailleurs. Parfois, certaines rencontres scellent notre destin et orientent notre vie d’une manière inattendue, et ce message, si il y a là un message voulu par Dickens dans ce sens, me rappelle à quel point l’amitié et les échanges sociaux entre les individus sont importants pour nous permettre de « grandir », d’affronter nos peurs et de repartir de plus belle. Barbox ayant retrouvé confiance (en lui? en la vie?) quitte Mugby, après une année figée dans le temps, à la découverte d’un nouvel horizon. Et le monde étant tout petit, il se retrouve nez-à-nez avec une partie de son lointain passé sentimental -ce n’est cependant pas cela qu’il fuit- une femme qui l’a quitté pour un autre qui était son ami. Barbox lui apprend alors qu’il leur pardonne à tous les deux. Bref le passé est passé, seul compte l’avenir! Et on a tous besoin, à un moment donné, de passer par une ville comme Mugby avant de continuer notre route…

Bien que j’ai apprécié retrouver mon auteur chouchou, j’ai trouvé le texte bien court pour savourer la plume de Dickens, et y vais de mon interprétation qui, il est possible, est à côté de la plaque; il n’empêche que lire Dickens permet de prendre du recul et d’orienter les réflexions du lecteur sur des sujets universels et ça, c’est top!

Et hop, une participation que j’ajoute au Challenge Victorien 2013 d’Arieste! Suivi des challenges Jacques a dit « nom de ville » de Métaphore et Petit bac d’Enna et le mien sur Dickens!

victorien-2013logo-jacques1

logo petit bac

Challenge Dickens 2013 2015

Un conte de deux villes

Un conte de deux villes, de Charles Dickens, préface de Jean Gattégno, Folio, 418 pages.

  • conte de deux villeRésumé: Seul roman historique de Charles Dickens, Un conte de deux villes, écrit en 1859, met en parallèle Londres et Paris à la fin du XVIII° siècle. Il s’agit ici de mettre en avant la Révolution française, les personnages créés par l’écrivain, bien qu’importants, lui permettent d’aborder l’avant et pendant Révolution. Il n’en demeure pas moins vrai que les protagonistes ont des profils psychologiques riches et variés qui donnent énormément de saveur au texte. Le personnage central est le Dr Manette, appelé aussi le Dr de Beauvais, un français, qui est le satellite autour de qui gravite l’ensemble des autres personnages. Il a été incarcéré – à tort apprendrons-nous par la suite- en France, à la prison de la Bastille au 105, Tour Nord. A sa sortie de prison, il ira chez son ancien domestique, M. Défarge, cabaretier de métier, époux de Mme Défarge qui se plaît à tricoter, et exercera le métier de cordonnier enfermé dans un appartement , rue du faubourg St Antoine. Les isolements successifs seront à la fois sa force et sa faiblesse. Sa fille, la belle et tendre Lucie, qu’il n’a jamais connue, accompagnée de Jorvis Lorry, un banquier de la renommée banque Tellson de Londres, viendra le chercher et le ramener non seulement en Angleterre mais aussi à la vie! M. Lorry se caractérise essentiellement par son professionnalisme et sa loyauté envers son employeur. Les Manette et M. Lorry seront amenés à témoigner lors d’un procès d’un certain Charles Darnay, de nationalité française, à Londres, pour avoir voyagé avec ce dernier lors de leur retour. Le jeune homme, semble subjugué par Lucie alors même qu’il risque la peine de mort. Cet événement marque le début de leur idylle qui aboutira à leur mariage. C’est également lors de ce procès que nous rencontrerons Sydney Carton, homme travaillant dans l’ombre de M. Stryver, avocat aux dents très longues
    qui défendent l’accusé Charles Darnay. Stryver aime appelé son acolyte le « chacal » car Carton est un ivrogne, bourru, mal aimable qui cache une sensibilité considérable sous cette carapace qui se révèle au fur et à mesure de l’histoire bien évidemment. De l’autre côté de la Manche, nous assistons aux brimades quotidiennes du peuple français, dont les Défarge sont l’illustration de la grogne montante jusqu’à ce que la révolution prenne définitivement forme. Contre toute attente, un cas de force majeur c’est à dire une question de vie ou de mort, ramène Charles Darnay en France, dont la véritable identité est mise à jour par les citoyens révolutionnaires. Descendant de l’aristocratie française, il est jeté en prison en attendant son procès. Ayant quitté secrètement Londres pour ne pas inquiéter sa famille dans cette affaire, cette dernière suivra sa trace afin de le sauver. Et tout ce monde, auquel il convient de rajouter Jerry Cruncher, homme à tout faire de M. Lorry et Miss Pross, dame de compagnie de Lucie, va être lié à tout jamais dans un fait historique majeur, animé sous la délicieuse plume de Charles Dickens.
  • Mes impressions: Que dire de ce texte magistral… Si en lisant De grandes espérances j’avais eu du mal à pénétrer dans l’histoire, il n’en a rien été avec Un conte de deux villes. Dès le début, Dickens nous happe dans son histoire ainsi que dans l’Histoire; j’ai fait un bon de quelques siècles et ai vécu le temps de ma lecture en cette fin du XVIII° siècle tant à Paris qu’à Londres. Cependant, Paris et Bastille sont davantage au coeur du livre: Paris, la sanguinaire et Londres le refuge. A travers ses personnages, l’auteur peint une partie des relations pécuniaires qui liaient les deux capitales au travers de la Banque Tellson représentée par Jorvis Lorry mais aussi nous fait vivre cette période charnière entre les deux régimes en scindant son oeuvre en trois livres. Il s’écoule 14 ans entre le livre I, qui s’ouvre sur l’an 1775 en Angleterre et le livre III qui se termine par l’année 1789, en France. De cette manière, nous faisons connaissance avec l’ensemble des protagonistes, avant d’atteindre le point de non retour, qui explique les différents comportements qu’ils auront: le « avant révolution française » et le « pendant révolution ». Dickens joue avec les rebondissements mais annonce également la couleur des événements à venir; si vous avez envie de vous plonger dans ce livre, je me permets de vous conseiller, pour profiter pleinement de votre lecture, d’être extrêmement attentif au moindre détail qui se révélera capital par la suite: tout a un sens, tout s’explique, le scénario est extrêmement bien ficelé, faites confiance à M. Dickens!

En France, il est principalement question de la prison de la Bastille qui jouxte une rue qui s’appelle la rue du faubourg Saint-Antoine. Et ce quartier, pour y avoir travaillé un certain temps je le connais bien étant donné le nombre de fois que je l’ai arpenté! Cela à contribuer à me rendre vivant le décor peint par Dickens, à m’imaginer cette rue pavé, crasseuse où pullule la vermine, où les gens crèvent dans l’indifférence des dirigeants toujours en s’accrochant à l’espoir du dernier souffle. Le peuple souffre, à faim, est considéré comme un être inférieur, une sous race que l’aristocratie et la royauté étouffent, briment, taxent car le peuple n’a que le droit de payer ses impôts, de subir l’injustice et la corruption (c’est ce qui est arrivé au Docteur Manette) et de mourir en silence. Et ce tableau, cette vie qui ne peut exister, cette rage qui monte progressivement des entrailles, qui est immobilisée dans le tricot de Mme Défarge, prend tout son sens lorsque c’est Dickens qui en parle. Et ce qui est fabuleux, c’est qu’en peignant les conditions de vie du peuple français, Dickens conserve la dignité de l’homme et ne tombe nullement dans le misérabilisme.

Sont présents cependant des sentiments et des valeurs positives telles que l’amour, l’amitié, la loyauté, la sincérité et la solidarité qui donnent un souffle de légèreté à toute cette tragédie.

Paradoxalement, le peuple français qui se soulève, se transformera en bête sanguinaire et infligera non seulement à ses dirigeants mais à d’honnêtes citoyens innocents, ce que justement il ne veut plus; car alors qu’il se bat pour les valeurs d’Humanisme, de reconnaissance, de Justice, sous couvert de la République et de sa devise « Liberté, égalité, Fraternité – ou la Mort », sa justice sera expéditive, seul compte le nombre de tête qui tombe quotidiennement, l’Homme est oublié dans ce chaos; la prise de pouvoir par le peuple, non formé à une telle charge, est un mal profondément nuisible, mais ouvre de meilleures perspectives pour les générations futures: au-delà de toute cette boucherie, c’est l’espoir qui se dessine : « Je vois une ville splendide et un peuple glorieux surgir de cet abîme; et dans ses luttes pour devenir vraiment libre, dans ses triomphes et ses défaites, je le vois expier peu à peu les forfaits de cette époque et de celle qui l’a précédée et engendrée, et les effacer à tout jamais » (page 399)

Son style contribue à rendre passionnant l’oeuvre qu’il nous livre, où la violence est omniprésente. En effet, il personnifie les objets et les choses; par exemple les murs du château du Marquis deviennent humains à la nuit tombée « Pendant trois longues heures, les effigies de pierre de la façade du château regardèrent les ténèbres de leurs yeux aveugles […] Pendant trois longues heures, les pierreux visages d’homme et de lion scrutèrent la nuit noire de leurs yeux aveugles » (pages 148-149) et lorsque le soleil se lève: « Tandis que la lumière augmentait, le soleil effleura la cime des arbres immobiles et empourpra la colline. Dans cet embrasement, les figures de pierre devinrent cramoisies et l’eau de la fontaine rougit comme du sang » (page 149); le sang devient le vin dont s’abreuve inlassablement Dame Guillotine qui est un excellent barbier…En outre, il dé-personnifie les personnages en leur ôtant leur qualité d’homme; une révolutionnaire s’appellera la Vengeance tout simplement, les révolutionnaires hommes, les citoyens, ne seront que des « Jacques », inspirés des jacqueries du passé, distingués par des numéros: Jacques un, Jacques deux, Jacques trois, Jacques mille…

Par ailleurs, un « Dickens » sans satire ne pourrait être un « Dickens »: le premier procès de Charles Darnay à Londres est une égratignure supplémentaire au système judiciaire anglais, tout comme, selon moi, les conditions de la population en France: d’où la nécessité de réformer ces systèmes des deux côtés de la Manche. La France amorce un changement majeur via la Révolution de 1789, mais à quel prix…

Bref, un texte magnifique qui aborde la Révolution française d’une bien meilleure manière que n’importe quel cours d’Histoire, et qui me rappelle que la France a été souvent citée lors du printemps arabe ou de ce qui se passe en Turquie en ce début d’été 2013; une telle boucherie peut difficilement être louable et servir d’exemple; en revanche, nous avons des devoirs, dont celui de mémoire mais aussi de protection d’un système réussi qu’est la République. A lire absolument.

Coup de coeur de mes coups de coeur 2013!

LC organisée par Shelbylee avec d’autres lectrices, dont le nom sera mis au fur et à mesure…et participation au Challenge Gilmore Girls de Touloulou.

jessbook

« De grandes espérances »

De grandes espérances de Charles Dickens, Le livre de poche classique, 607 pages.

  • dickensRésumé du livre: C’est l’histoire d’un petit garçon, dont le nom de baptême Philip Pirrip est devenu « Pip » car beaucoup plus facile à prononcer pour un enfant, qui va se transformer en jeune homme, « Monsieur Pip » ou « Haendel » dans l’intimité, avant de devenir un homme, qui trouvera enfin son identité car il s’appelle « Pip », « Pip » tout court. Pip, le narrateur nous livre ici l’histoire de sa vie; l’histoire d’un petit garçon ordinaire au destin extraordinaire.

Comme beaucoup d’enfants du XIX° siècle Pip est orphelin. Recueilli et élevé « à la main » par son exécrable soeur, Mrs Joe Gargery, épouse de Joseph Gargery, forgeron de métier, son enfance est d’une tristesse aussi sinistre que les brouillards qui entourent les marais, près de leur maison. Souffre douleur préféré de sa soeur qui manie avec dextérité le fouet prénommé « Chatouilleur », cette dernière aime se faire remarquer en société en arguant le fait qu’elle s’occupe de son petit frère car comme elle le répète elle l’élève à la main. Heureusement qu’il trouve chaleur et réconfort auprès du bon Joe, son meilleur ami et de Biddy une petite fille pleine de douceur, un peu plus âgée que lui, qui lui apprend à lire. Une première rencontre aussi étrange qu’inquiétante va venir perturber la vie quotidienne et ordinaire de ce petit garçon. Un forçat évadé, essayant de se cacher dans les marais, lui tombe dessus à la nuit tombée, le menaçant de sévices si il ne lui apporte pas des vivres. Pensez-vous que le jeune Pip, traumatisé par une telle rencontre, va s’exécuter redoutant davantage les terribles représailles du forçat-bagnard que le courroux de son affreuse soeur dès lors qu’elle s’apercevra que le garde manger a été pillé! Cependant, les gendarmes œuvrant pour retrouver l’évadé, même en ce jour de Noel, ne tardent pas à le renvoyer là où il doit être. Une deuxième rencontre tout aussi atypique dans un autre registre va venir mouvementer la vie de Pip. En effet, une dame de la ville, Miss Havisham, réputée être très riche, souhaite l’inviter pour jouer. Cette invitation est perçue comme un grand honneur pour Mrs Gargery et l’oncle Pumblechook, un homme vénal en perpétuelle représentation sociale. C’est ainsi que Pip est envoyé là-bas et va vivre une drôle d’aventure dans cette maison aux volets clos, Satis House, où le temps est suspendu, et où il découvre une femme cadavérique, à la peau flétrie, qui vit dans les souvenirs lugubres de l’échec de son mariage…Dans cet univers vieux et poussiéreux, Pip fait également connaissance avec la jeunesse et la beauté sournoise de la mystérieuse Estella dont il devient éperdument amoureux. Mais Estella est d’une beauté inaccessible dans la mesure où la jeune fille est la fille adoptive de Miss Havisham, cette femme qui caresse si bien la folie, et qui en a fait sa marionnette. En effet, Miss Havisham façonne et modèle la jeune fille afin qu’elle réalise certains desseins malsains auxquels elle la destine. La beauté charnelle d’Estella est aussi attirante que son comportement est cruel. Lors de ces rencontres d’un autre temps, Pip, errant dans le jardin, va se bagarrer avec un « jeune et pâle gentleman »…avant de retourner à ses marais, avec bien entendu une autre invitation à jouer… Voilà, pour le décor que j’assimilerais à la première partie de l’histoire qui suscite bien des questions: Que signifie cette mascarade? A quoi une femme âgée peut-elle jouer? Quelle est le rôle d’Estella? Quelle est l’identité du « jeune et pâle gentleman »? Que faisait-il dans le jardin? Pourquoi Pip?

Le mystère, déjà à son paroxysme, va s’épaissir lorsque Mr Jaggers, homme de loi londonien, rend visite à Pip et sa famille pour leur annoncer, qu’un(e) mystérieux(se) bienfaiteur (bienfaitrice) anonyme -dont l’identité ne peut être révélée que par cette personne- a de grands projets pour Pip afin de le transformer un gentleman. Si Pip accepte, il devra partir à Londres, et s’instruire auprès d’un tuteur afin de réaliser ses premiers pas dans la haute société, à l’unique condition de ne jamais évoquer ni rechercher cette personne inconnue qui semble avoir de grandes ambitions pour le garçon. Des rêves pleins la tête, Pip fort de sa nouvelle position sociale accepte le marché. Mr Jaggers, sans arrières pensées, peut lui conseiller un tuteur si il le souhaite, du nom de Mr Pocket, cousin de Miss Havisham, dont le fils Herbert est disposé à vivre en colocation avec lui… C’est ainsi que se mettent en place les grands espoirs, les ambitions secrètes, de notre jeune ami qui débarque à Londres pour vivre la grande vie à laquelle il aspire. Croquant la vie londonienne à pleine dent, Pip apprend aux côtés de M. Pocket, qui forme également deux autres jeunes hommes, Drummle et Startop, rencontre par ailleurs la famille de son tuteur, devient intime avec le plus proche collaborateur de son tuteur, Mr Wemmick dont la bouche à une forme de boîte aux lettres, et vit dans un château…L’agression dont est victime sa soeur, est malheureusement l’occasion pour Pip de revenir chez lui, mais un fossé se creuse progressivement entre ses origines et ses aspirations. Et puis, un beau jour, Pip a la révélation qu’il attendait tant, lourde de conséquence…

  • Mes impressions: Bien qu’ayant eu des difficultés à m’approprier l’histoire au début, où on pourrait être tenté d’abandonner le livre, quoique les nombreux rebondissements incitent à dévorer le chapitre suivant, il faut insister afin que l’intrigue devienne complète et se révèle au grand jour, car ce n’est vers la fin que tout s’incrémente et que les messages distillés par l’auteur prennent tout leur sens. Réaliste, Dickens croyait en l’homme et en son pouvoir de choisir sa destinée: cela est véhiculé par Pip. Un Homme peut être à la fois bon et mauvais, agir d’une certaine manière dans un contexte qui lorsqu’il est connu permet de comprendre le fondement de telle ou telle attitude; mais en communiquant et en expliquant un autre point de vue, la vision de cette personne peut par ailleurs évoluer, car les situations ne sont jamais figées: je pense à Miss Havisham et Estella; une position sociale ne procure aucune valeur de plus ou de moins à un individu: l’amitié, la vraie, celle que Joe, le « simple forgeron » porte à Monsieur Pip, « le gentleman », est un pilier pour Pip qui dans l’excitation de vivre ses grandes espérances l’oubliera un temps, or une telle amitié est précieuse. L’amitié aussi se définit par l’aide et le soutien d’un ami dans ses projets comme le fait Pip avec Herbert.

En ce qui concerne la forme du roman, j’ai énormément apprécié l’humour de Dickens, ses jeux de mots et sa manière de donner une âme aux objets (le fouet s’appelle chatouilleur) ou de caractériser les humains par des attitudes mécaniques (la boîte aux lettres de Wemmick) et de ponctuer le récit de fantaisie (Wemmick vit dans un château à pont levis). Dickens met, à mon avis, un point d’honneur à valoriser les petites gens, tels Joe ou Biddy, et prend un malin plaisir à critiquer ceux qui disposent du pouvoir: il ridiculise l’oncle Pumblechook qui lorsque la nouvelle situation de Pip est connue se vante d’être son meilleur ami et ne cesse de lui serrer les mains. Il insère aussi une notion du justice pour tous via l’insondable Mr Jaggers. Mon billet serait incomplet, pour ma part, si je ne mentionnais pas que Dickens a écrit deux fins à cette histoire: une version pessimiste et une version optimiste sous l’influence d’un de ses amis, qui est proposé dans cette version du Livre de poche.

En bref, une oeuvre que je vous encourage à découvrir si vous ne la connaissait pas encore!

Une belle découverte -une de plus- que je n’aurais pas encore faite sans l’organisation de cette LC par Adalana, je vous invite à aller voir les commentaires de mes co-lectrices qui sont centralisés chez Adalana, par ici. De plus, cette lecture me permet de participer au challenge Gilmore Girls, niveau Jess de Touloulou.

jessbook