Ce qu’il nous faut c’est un mort, Hervé Commère, mars 2016, Fleuve noir, 398 pages, littérature française, roman noir.
En trois mots: village, destinée, lingerie.
Quatrième de couverture: Trois garçons pleins d’avenir roulent à flanc de falaise. C’est la nuit du 12 juillet 1998, celle d’I will survive. Ce que la chanson ne dit pas, c’est à quel prix. Les Ateliers Cybelle emploient la quasi-totalité des femmes de Vrainville, Normandie. Ils sont le poumon économique de la région depuis presque cent ans, l’excellence en matière de sous-vêtements féminins, une légende – et surtout, une famille. Mais le temps du rachat par un fonds d’investissement est venu, effaçant les idéaux de Gaston Lecourt, un bâtisseur aux idées larges et au coeur pur dont la deuxième génération d’héritiers s’apprête à faire un lointain souvenir. La vente de l’usine aura lieu dans l’indifférence générale. Tout le monde s’en fout. Alors ce qu’il faudrait, c’est un mort. De la corniche aux heures funestes de Vrainville, vingt ans se sont écoulés. Le temps d’un pacte, d’un amour, des illusions, ou le temps de fixer les destinées auxquelles personne n’échappe.
Mon avis: L’édifice sur lequel repose ce roman noir est solide, ce qui n’en rend sa construction que plus puissante. L’auteur part de la date phare du 12 juillet 1998, où on a tous hurlé « merci les bleus » « et un, et deux, et trois, zéro ! », pour faire basculer la vie de ses personnages vers leur destinée. Beaucoup de drames se sont déroulés cette nuit-là aux quatre coins de la France, un accident de voiture, une laissée pour morte, un viol, mais aussi de grands bonheurs avec une naissance et une rencontre.
Pourtant, tous ces individus, brisés ou non par la vie, vont se croiser une vingtaine d’années après cette folle nuit du 12 juillet 1998, dans une ville ouvrière de Normandie, Vrainville, réputée pour les Ateliers Cybelle, une usine de lingerie, fondée après la Première Guerre mondiale par Gaston Lecourt, le grand-père d’un des personnages de l’accident de voiture.
Grâce à la machine à remonter le temps, on s’attarde sur la création des Ateliers Cybelle, pour pénétrer de plein pied dans l’âme de cette cité ouvrière, pleine d’humanisme et de solidarité.
Sans ce formidable retour en arrière, dont on se délecte, la saga villageoise et le drame social qui en découle au présent n’auraient pas le même écho. Car après une belle période faste, la mondialisation et les soucis de rentabilité poussent le petit-fils du fondateur à fermer l’usine.
C’était sans compter sur la mobilisation des Vrainvilliers et des ouvrières prêtes à tout pour conserver leurs emplois. Tient, cela a comme un goût de déjà-vu… Dépeignant les maux de la société française d’aujourd’hui, via un constat objectif, l’auteur met en scène ses personnages, tous fouillés, qui selon leurs racines et leurs vécus se battent avec les moyens dont ils disposent, habités par leurs propres démons du passé.
On passe du flic noir à l’ouvrière passionnée en passant par l’héritier grand patron et l’avocat, sans oublier le rondouillard de maire libidineux. Chacun a ses qualités et ses défauts et s’en dépêtre comme il peut dans ce huis-clos vrainvilliers où l’un des leur, vu comme le doux agneau, va mourir. Accident ? Suicide ? Assassinat ? C’est l’explosion de la bombe amorcée vingt ans en arrière qui va accélérer les événements et exacerber les tensions de ce petit village.
Tout secret se sait un jour. Tout a un sens dès lors que la logique des individus est connue. Il faut souvent des tragédies pour les mettre en lumière. Le puzzle s’assemble et finalement les valeurs humaines l’emportent.
Ce roman noir dresse un portrait saisissant de notre société et, par un rythme et une plume unique, gagne à être lu.
Lu dans le cadre du GPLE 2017
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Jury d’avril, sélection du jury de septembre 2016.